Baleiniers Info n°17
Arrêt de la Cour de Cassation du 28 mai 2013 :
Service minimum pour sanction maximum
La Cour de Cassation, dans son arrêt n°K 12-83.225 FD en date du 28 mai 2013 a rejeté en tous ses points le pourvoi en cassation de nos camarades Abd-El-Kader AIT MOHAMED, du RESF37, Jean-Christophe BERRIER et Muriel EL KOLLI, du Collectif Soif d’Utopies. Ils s’étaient pourvus en Cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel d’Orléans du 10 avril 2012 qui, en plus d’avoir multiplié par deux les sommes à débourser en faveur de l’Agent judiciaire du Trésor, avocat de la partie civile, avait traité par le plus grand mépris les témoins de la défense, accusés de « propos outranciers ».
Tout au long des 12 pages de l’arrêt, la Cour de Cassation se contente de reprendre mot pour mot les conclusions de la Cour d’appel d’Orléans, tant en ce qui concerne les 3 “nullités de procédure” soulevées par Abd-El-Kader AÏT MOHAMED (et Chantal BEAUCHAMP lors des audiences en correctionnelle et en appel), que les attendus sur le caractère “diffamatoire” du communiqué de presse du 12 février 2010, qui a valu toutes ces poursuites pénales.
Dans son mémoire, l’avocat des prévenus avait soulevé un certains nombre de « moyens », d’une part, concernant le non respect des droits de la défense (plainte du ministre de l’Intérieur qui comportait de fausses allégations, assignation du Procureur imprécise, voire fautive sur la date présumée du « délit » et les lieux de la diffusion du texte incriminé.) ; d’autre part, concernant le caractère prétendument diffamatoire du communiqué de presse du 12 février 2010. Comment considérer comme diffamatoire un texte qui fait part de « soupçons » sur l’usage détourné du fichier Base élèves, alors que le Conseil d’Etat lui-même, et le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, se sont inquiétés des détournements possibles par d’autres administrations de ce fichier scolaire ?
A cette argumentation serrée contre l’arrêt de la Cour d’appel, que répond la Cour de Cassation ? Rien d’autre que : la Cour d’appel a jugé comme il faut. Pas une amorce de début de discussion. Même quand la Cour d’Orléans se contredit (quand elle énonce que les faits cités dans le communiqué sont « invérifiables »… mais reproche aux prévenus de ne pas les avoir vérifiés) ; même quand elle outrepasse ses prérogatives en se permettant des jugements politiques sur les interventions des témoins… non, les juges d’Orléans n’ont en rien failli. Et cela doit être d’autant plus convaincant que ce n’est pas démontré. Et pas un mot sur ce qui constituait l’essentiel des motifs de condamnation en appel : la référence au régime de Vichy. Qu’en pensent les juges ? Nous ne le saurons pas.
La seule “innovation”, si l’on peut dire, de cet arrêt de la Cour de Cassation tient à son ultime décision : nos camarades sont conjointement condamnés à verser 2000 euros supplémentaires à l’avocat de la Partie civile sur la base de l’article 618-1 du Code de procédure pénale :
« Article 618-1
Lorsqu'une demande en cassation formée par la personne poursuivie ou par la partie civile a été rejetée, la cour peut condamner le demandeur à payer à l'autre partie la somme qu'elle détermine, au titre des frais non payés par l'Etat et exposés par celle-ci. La cour tient compte de l'équité ou de la situation économique du demandeur pour décider du prononcé de cette condamnation et en fixer le montant. »
Retenez bien ceci : quand il s’agit de museler des militants (pas des vedettes des médias, pas des professionnels de la politique, à qui la liberté de s’exprimer, de soupçonner, de critiquer, voire de comparer en invoquant l’Histoire est largement acquise), on met le paquet : 3000 euros infligés par le tribunal correctionnel de Tours ; 3000 euros de plus infligés par la Cour d’appel ; 2000 euros supplémentaires par la Cour de Cassation.
3000 + 3000 +2000 = 8000 euros ! Ce n’est pas nous qui insistons lourdement, ce sont les tribunaux de la République - au nom de l’équité, ça console un peu ! Comme le disait un slogan anarchiste de la fin du 19ème siècle : « Le pire des tyrans, ce n’est pas celui qui vous prend au collet, c’est celui qui vous prend au ventre ! »
Bien évidemment, cet article du Code de Procédure Pénale n’a pas été inventé pour les militants, même si ces derniers y sont particulièrement sensibles. Plus généralement, il indique une évolution, nettement marquée du sceau des conceptions néolibérales, dans ce que signifie aujourd’hui « rendre la justice ».
1/ Celui qui saisit un tribunal doit payer au moins en partie cette « prestation » puisque c'est dans son intérêt qu'il le fait... et s'il perd, il est alors en quelque sorte considéré comme ayant plus ou moins abusé d'un bien public - conception de la « justice » (sur le modèle étatsunien.)
2/ Cet article 618-1 met en place, par l’argent, une limitation à la liberté d'expression de tout citoyen ; c'est le versant « économique » de la limitation « politique » justifiée dans l’argumentation du Procureur général de la Cour d’appel d’Orléans, selon laquelle seul le cercle restreint des détenteurs de la parole « autorisée » (les personnalités médiatiques, les hommes politiques) échappe à cette double limitation, financière et politique. Plus que jamais la formule « se payer de mots » n'aura été aussi pertinente...
Ce détour par l’article 618-1 nous permet de mieux comprendre dans quel contexte plus général l’institution judiciaire s’inscrit dans la stratégie du pouvoir qui consiste à “sucer le sang” des militants et de leurs soutiens, dans le but d’étouffer la contestation des politiques gouvernementales.
Tout au long de ces trois années de lutte des « 4 de Tours », la solidarité financière a soutenu sans faille les prévenus. Ce sont au total quelques 19 000 euros qui ont été collectés directement pour la Caisse de solidarité, et presque 4000 euros en chèques libellés à l’Agent Judiciaire du Trésor - ce qui est considérable. Sans l’aide de tous et de chacun, il eut été impossible de poursuivre aussi loin ce combat. Ce n’est cependant pas tout à fait suffisant pour « solder » le passif. Il manque encore à notre caisse de solidarité exactement 1 110 euros… Les 3 camarades condamnés auront alors fini de s’acquitter des frais de justice, des dommages et intérêts, et surtout de ces sommes exorbitantes au profit de l’avocat du ministre.
Voici ci-dessous un tableau très simplifié avec nombre arrondis des recettes et des dépenses :
(1) honoraires d’avocats. En plus des sommes indiquées, il faut préciser que l’avocate d’une des prévenu-e-s a bénéficié de l’aide juridictionnelle, et que l’autre prévenue a réglé elle-même les honoraires de son Conseil, sans faire appel au Comité de soutien.
(2) frais d’huissiers. En plus de la somme réglée par le Comité de soutien, précisons que la quasi-totalité des frais d’huissier liés à la convocation des témoins a été payée par l’aide juridictionnelle.
Il reste donc à collecter pour « solder » l’ensemble des dépenses liées à la défense des « 4 de Tours » : 5460 – 4350 = 1 110 euros.
Pour permettre aux « 4 de Tours » (c’est le contraire des Mousquetaires, en réalité ils ne sont plus que 3, en raison de la relaxe de Chantal BEAUCHAMP) d’être prêts à régler le reliquat des sommes à devoir, il ne manque donc plus que 1 110 euros. Vous pouvez donc faire un chèque en inscrivant au dos « soutien 4 de Tours » à l’ordre de Chantal BEAUCHAMP. Son adresse : 229 Avenue de Grammont, 37000 TOURS
Enfin, le Comité de soutien s’est posé la question d’aider à la poursuite de la procédure en permettant à Muriel EL KOLLI et à Jean-Christophe BERRIER, par un apport financier supplémentaire, de saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Indépendamment de l’intérêt juridique et politique d’une telle initiative, la somme minimale nécessaire serait de l’ordre de 7000 euros (honoraires d’avocat, frais de déplacement et frais de procédure). Cela nous a paru trop considérable, eu égard aux efforts financiers que vous avez, les uns et les autres, déjà consentis. D’une certaine manière, les juges ont « gagné », non pas tant parce qu’ils ont condamné – cette justice-là n’est pas la nôtre -, mais parce qu’ils ont asséché nos porte-monnaie, à défaut d’anéantir notre combativité.
D’autres luttes nous appellent…
Comité de soutien aux « 4 de Tours »
Tours le 30 août 2013